Chroniques de l'hypermonde.

n° 20 mai-juin 1995

ASSEMBLEEGENERALE

L'assemblée générale de l'Association s'est tenue le mardi 27 juin Chez Clovis. Elle a désigné un nouveau bureau.

Les membres de l'Association trouveront en encart le compte-rendu complet de la séance ainsi que les rapports moraux et financiers.

Le fichier des personnes qui se sont intéressées de près ou de loin à nos activités comporte désormais plus de trois cents noms. La plupart ont assisté au moins une fois aux séances du mardi soir, soit comme participant, soit comme intervenant.

LES SEMINAIRES DU CLUB

Nous sommes de plus en plus sollicités, soit à titre individuel, soit au non de l'association, pour engager une réflexion plus approfondie sur les grands sujets liés à la mise en œuvre de la Société numérique.

Certains de nos membres peuvent se rendre disponibles pour animer une table ronde ou une journée d'étude mais cette pratique ne remplace pas le travail de fond produit par un séminaire régulier.

Aussi nous envisageons de lancer une initia-tive dans ce sens à la rentrée.

Nous proposons pour thème de cette première mouture -qui pourrait se dérouler Chez Clovis ou dans un autre lieu- :

“La notion de service public
dans l'Hypermonde “.

La réflexion pourrait prendre comme point de départ le débat actuel sur la déréglementation telle que l'Europe l'envisage pour la généralisation des services numériques et les différents choix possibles en mesure de concilier ses positions avec “l'exception française“.

Faire aboutir collectivement un tel débat apporterait au Club une légitimité supplémen-taire, tant auprès de ses familiers que de nouveaux cercles d'adhérents.


ABONDANCE DE SIGNES

DéFICIT DE SENS …

Dans un univers où la technologie nous promet une prolifération infinie de signes, quelles voix leur donnent du sens ?

Si l'ingénieur crée les systèmes trans-formateurs de notre environnement, l'écrivain, comme tout artiste, débusque à travers ses mots la signification qui nous avait échappée.

Dans ses LECONS AMERICAINES*, Italo Calvino constate : " Le millénaire qui s'achève a vu naître et proliférer les langues occidentales modernes, ainsi que les littératures qui en ont exploré les possibilités dans le domaine de l'expression, de la connaissance et de l'imagination. "

N'est-ce pas une illustration saisissante du parcours de la dernière langue inventée par la société occidentale : l'informatique ? N'a-t-elle pas d'abord servi à exprimer une certain nombre de réalités, plus précisément des faits -les données-, avant de basculer peu à peu dans le monde de la connaissance, tout en lançant récemment, avec les réalités virtuelles, de timides explorations vers l'imaginaire ?

Calvino poursuit en définissant les qualités que devrait développer la littérature du troisième millénaire : légèreté, rapidité, exactitude, visibilité, multiplicité. Par une étrange correspondance dont seuls les poètes authentiques ont le secret, ces épithètes s'appliquent mot pour mot aux mondes numériques émergeant sous nos yeux.

Autant la légèreté -l'absence d'inertie-, la rapidité ou l'exactitude, nous semblent aller de soi, autant sa remarque sur la visibilité et la multiplicité nous révèle des aspects inattendus mais déjà palpables des mondes virtuels.

Mais ce n'est pas aux habitués du Club qu'il faut rappeler que l'Hypermonde est un lieu où culture et technique se fécondent mutuellement.

JPB

HUITEMA : UNE HYPER-DEMOCRATIE ?

“Et Dieu créa l'Internet”, de Christian Huitema, dépasse de la tête et des épaules le reste des ouvrages récemment parus sur le réseau des réseaux. Ni manuel d'initiation, ni outil de référence, ni annuaire des bonnes adresses, l'auteur veut nous faire comprendre les réalités les plus profondes du phénomène. Il nous conduit au coeur, à l'Internet Activities Board (IAB) dont il a été élu président en 1993. Il parle donc en acteur plus encore qu'en connaisseur.

Ne lui demandons pas l'impartialité d'un observateur ou la distanciation d'un philosophe. Huitema vit pour et par Internet, et consacre une bonne part de son essai à réfuter sans complexes tout les arguments qui pourraient entraver la marche de son réseau. Une sorte de naïveté à l'américaine: laissez passer, et tout ira bien.

Son style mériterait à lui seul une analyse. Tout à fait correct, et même appliqué à traduire systématiquement les mots étrangers, il fait pourtant penser à de l'américain traduit. Des phrases plutôt courtes, à l'indicatif, sur un rythme rapide. Efficace, un peu lassant. Inspiré par l'emploi quotidien de la messagerie?

D'un point de vue philosophique, le chapitre “Une démocratie électronique” donne particulièrement à réfléchir. Il décrit les structures de décision d'Internet et leurs objectifs: " La règle de l'IETF (Internet engineering steering group) est donc non pas de décider par un vote, mais de rechercher un consensus entre tous les participants... C'est un jeu impitoyable, car on ne peut pas espérer s'en tirer par un compromis de couloir dans les minutes précédant le vote... La recherche du consensus conduit ainsi à l'élégance et à l'excellence... C'est un peu comme si on votait les lois à l'essai, et qu'on les annulait automatiquement si au bout de deux ans elles n'avaient pas démontré leur utilité ". N'y aurait-il pas des idées à prendre pour renouveler nos bonnes vieilles démocraties? PB

UN CD TRIMESTRIEL DEDIE A INTERNET

Savoir Multimédia, start-up spécialisée dans l'édition électronique, annonce le lancement de CD-Net, un trimestriel bilingue sur CD-ROM consacré à l'actualité du Net. Le premier numéro a été lancé au festival de La Ferté Bernard. Le numéro 290 F, l'abonnement annuel 956 F.

Rédaction : Charles de Laubier.

Diffusion-publicité : Jean-Marc Mutzig,

directeur de la publication.

Tel. 39 79 06 06 Fax 30 74 59 61 (E-mail à venir).

CYBERCULTURE & CYBERPUNK


Voici quelques extraits d'un essai d'Eddie Soulier sur la culture dans le cyberspace.

L'article, très documenté, est publié in extenso (8 pages) dans le supplément estival servi exclusivement aux membres du Club .

" … Le mouvement punk est né en 1975 dans une Angleterre touchée de plein fouet, et avant les autres économies européennes avancées, par la crise. Son impact social s'amplifiera lors du tournant libéral qui marquera le monde anglo-saxon et culminera avec le Thatchérisme en Angleterre et l'ultra libéralisme reaganien aux Etats-Unis.

" C'est un mouvement culturel plus que social ou politique, se signalant par un rejet radical, désespéré et nihiliste de la société ("No Future"). Le punk s'incarnera chez les jeunes dans un mode de vie très caractéristique et dans un style musical rock violent, rapide, et excessif dans ses manifestations. (…)

" Le terme cyberpunk a été popularisé par un groupe d'écrivains de science-fiction jusqu'à devenir un véritable mouvement littéraire. William Gibson, 45 ans est, avec Bruce Sterling, le plus connu des écrivains de la littérature cyberpunk. C'est lui qui, historiquement, à inventé le terme de "Cyberspace" dans Neuromancien, publié en 1984, roman qui remportera les prix Hugo, Nebula et Philip K. Dick.

" Une nouvelle espèce de cow-boys hante le cyberspace de Gibson. Ils explorent cette immensité de données en "branchant" directement leur système nerveux à la "matrice", nom donné par Gibson à l'infrastructure globale de calcul et de communication donnant naissance à ce nouveau royaume.

" L'idée de base est que le flot toujours croissant de données, créées sur toutes les machines à traiter de l'information disséminées de par le monde, n'est plus réellement gérable. Le cyberspace décrit d'énormes structures virtuelles de données placées au sein de l'"hallucination consensuelle" à laquelle des millions de gens se prêteraient en y "branchant" directement leur système nerveux. (…)

Technologie et contre-culture

" (Citant Bruce Sterling) Brusquement, une nouvelle alliance s'impose comme une évidence: c'est l'intégration de la technologie et de la contre-culture des années quatre-vingt. Alliance profane du monde de la technologie et du monde

du dissentiment organisé - le monde souterrain de la culture pop, de la fluidité visionnaire et de l'anarchie au niveau de la rue (...) La contre-culture des années soixante était rurale, romantique, antiscientifique, antitechnologique (...) La technologie rock constituait la partie aiguisée du coin. Au fil des ans, elle a mûri, s'est élargie en enregistrement de haut niveau, en vidéos satellisées, en graphiques informatiques. Progressivement, elle en vient à transformer de l'intérieur la culture rebelle, au point que les artistes pop de tout premier plan sont désormais très souvent des techniciens de tout premier plan. Voici les magiciens des effets spéciaux, les maîtres du mixage, les supertechniciens du son, les spécialistes du graphisme sur écran ; les voici qui émergent à travers de nouveaux médias pour éblouir la société d'extravagances aussi folles que le cinéma à base de formidables trucages ou les concerts Live Aid". (…)

Un modèle de société duale

" Socialement, la vision cyberpunk est simple : c'est le modèle de la société duale qui est mis en avant. Les pauvres, les ratés, les antihéros d'un côté ; les trusts, les puissances, les corporations de l'autre. Le modèle est féodal.

" On peut noter l'effacement presque complet du politique, du territoire, des Etats au profit des multinationales. Dans une société quasi tribale, l'individu ne vaut rien au-delà de l'argent qu'il peut rapporter (esclavagisme, précarité, ...). La planète est dominée par des cartels, des banques offshore, des transnationales, des paradis informatiques et fiscaux, et groupements terroristes et/ou économiques. " (…)

Perspectives

" La perspective principale, on l'aura compris, réside dans la (re)construction d'un nouvel environnement - le cyberspace - et d'un nouvel homme. L'australien Stelac, adepte d'une symbiose parfaite entre l'humain et la technologie, illustre cette nouvelle perspective. A partir d'une relecture de Nietzsche sur le Surhomme, il prône l'extension des capacités du corps, de l'esprit et de l'environnement par la technologie, sur fond du thème du design du corps humain. " (…)

" Comme il le dit, "la limite ultime de la philosophie, c'est la limite physiologique, nos faibles capacités organiques, notre vision pan-esthétique du monde ... En fait, je pense que l'évolution arrive à son terme lorsque la technologie envahit le corps humain (L'Autre journal, sept. 92, p. 24 et s.) ".

" Aujourd'hui, notre espace ne se limite plus à notre biosphère, nous nous dirigeons vers un espace extraterrestre, alors que notre corps n'est conçu que pour cette biosphère (...) "Aujourd'hui, la technologie nous colle à la peau, elle est en train de devenir une composante de notre corps - depuis la montre jusqu'au coeur artificiel - c'est pour moi la fin de la notion darwiniste d'évolution en tant que développement organique sur des millions d'années, à travers la sélection naturelle. Dorénavant, avec la nano-technologie, l'homme peut avaler la technologie. Le corps doit donc être considéré comme une "structure". C'est seulement en modifiant l'architecture du corps qu'il deviendra possible de réajuster notre conscience du monde".

E. S.

Nota : l'article est suivi d'une annexe tsur la littérature, la musique, les films, les magazines et les jeux associés à la Cyberculture.

*

LE MONDE EN LIGNE

"On-Line World" a tenu sa première édition française à Paris (Cnit), les 27 et 28 juin. Une petite exposition appuyait le congrès pour permettre aux participants de rencontrer les prestataires de services : opérateurs, fournisseurs de serveurs, de stations, de logiciels d'accès et les pionniers du contenu…

Le congrès s'est déroulé en même temps que l'édition 95 d'Inet à Hawaii, rendez-vous des spécialistes d'Internet. Une connexion permanente par Internet a permis aux participants parisiens de se brancher sur les annonces faites à l'autre bout du monde.

Organisateurs: DG Communications France (Le Monde Informatique, Distributive, InfoPC, Réseaux et télécoms, Golden, IDC).

ET MAINTENANT, LES CYBER-CAFES !

Une forme d'accès simple et conviviale a Internet se développe, notamment en France : la formule des Cyber-cafés. Comme leur nom tente de l'indiquer, il s'agit d'un lieu ouvert à tous, formule bistrot, disposant généralement de plusieurs postes de connexion en libre service et d'un tuteur pour ceux qui souhaitent se faire guider dans les méandres du Net.

On trouve déjà au moins un cyber-café à Paris. Celui de la rue Vielle du Temple met six postes de travail à la disposition des cyber-consommateurs et un animateur.

Contact : Eléonore, 46 06 50 81.

124 rue Vieille du Temple. 75003 Paris.

NOTES DE LECTURE

Le rêve américain en danger, d'Edward Luttwak, Éditions Odile Jacob.

L'auteur propose un concept neuf du capitalisme, qu'il nomme le “turbo-capitalisme”: l'économie évolue de plus en plus vite, le contrôle public recule, la mondialisation s'organise. L'accélération des changements structurels est d'ordre technologique. Il paraît bien difficile de lui résister. S'opposer à son existence, c'est retarder les progrès technologiques, avec pour résultat une croissance plus lente et du chômage. Et même, démontre Luttwak, un chômage structurel persistant. Mais la médaille a son revers. Une part importante des individus, qui étaient dans le passé sécurisés par les rigidités du système, sont désormais livrés à un environnement très incertain. L'Europe n'est qu'un “package” comme un autre. Exemple, la dérégulation du marché aérien en France. Hier, Air Inter avait le monopole des lignes intérieurs, les tarifs étaient élevés. Demain (c'est à dire aujourd'hui déjà), l'usager paiera moins cher, mais travailler à Air Inter sera moins sûr, moins bien rémunéré. Il est urgent de se protéger du turbo-capitalisme, conclut Luttwak. Mais il ne propose, hélas, aucune recette. ANNE LIEBMAN

NDLR : un entretien avec Edward Luttwak a été publié dans Le Monde daté du lundi 5 juin 1995.

Les nouveaux maîtres du monde, de Renaud de La Baume et Jean-Jérôme Bertolus (Belfond). Superficiel, mais vivant. Montre la variété des acteurs qui interviennent désormais dans l'hypermonde et des grands enjeux économi-ques. Avec une crainte de tous les acteurs: que la gratuité fondamentale d'Internet l'emporte sur tous les chercheurs de bénéfices. (A. L.)

L'invention de l'humanité de Marcel V. Locquin, sous-titré : Petite histoire universelle de la planète, des techniques et des idées, est bien utile pour nous aider à relativiser la place de l'hypermonde dans un processus plus ancien.

Établissant une chronologie détaillée depuis la naissance de la planète jusqu'à celle du Christ, l'auteur recense les acquis les plus récents sur le passé de la terre, des hommes, de leurs techniques et de leurs croyances.

Rassemblant sous une forme condensée une moisson de faits généralement éparpillés, ce précis d'histoire universelle devrait figurer dans nos bibliothèques et souvent consulté pour nous rappeler que le temps de notre planète n'est par la nano-seconde mais la Giga-année. (JPB)

Édition : La Nuée Bleue. 157 p., 88 Francs.

Vous pouvez contacter Marcel Locquin au 47 14 19 72

LA GUERRE DES INFOROUTES SE PREPARE

Une véritable guerre économique se noue derrière les grands discours sur les inforoutes. Un correspondant américain stigmatise sur Internet les industriels de la télévision câblée: "Ils veulent des accès contrôlés grâce aux boîtiers (set top boxes), et non une architecture ouverte. Ils veulent une limite de 500 canaux sans possibilité d'une bande étroite pour les développeurs privés de contenu. Le gros fric mène la danse et laisse le bas peuple dans l'ignorance".

LA CYBER-CIGOGNE PASSE CHEZ LES FLICHY

Le printemps a vu le passage de la cigogne dans le ciel du Perche pour livrer un petit Timothé à Philippe Flichy et Sophie Josien.

Nul doute que les heureux parents ne se réfugient de temps en temps dans les réalités virtuelles si leur dernier né pousse des cris trop perçants.

Avec les meilleurs vœux du club pour ce futur arpenteur de l'hypermonde.

*

RENDEZ-VOUS DU MARDI SOIR

Vous êtes les bienvenus, tous les mardi-soir,
à partir de 19 heures 30, au Restaurant :

Chez Clovis

33, rue Berger 75001 Paris

Tél : 42 33 97 07

(Métro Halles, face à St Eustache )

Le programme des interventions vous sera communiqué, soit par FAX pour les membres du Club (indiquez-nous votre numéro), soit par téléphone auprès de Pierre Berger (49 04 79 30).



ATTENTION : LES CHRONIQUES NE SERONT DESORMAIS SERVIES QU'AUX MEMBRES
À JOUR DE LEUR COTISATION.


300 F pour l'année, par chèque postal ou bancaire, à l'ordre du Club de l'Hypermonde.

*